Arsenal, les secrets d'une réussite
- Raphaël Pazuelo
- 4 févr. 2023
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 mars 2023
Plus les semaines passent, et plus on voit Arsenal empêcher les Citizens d’aller chercher un troisième titre consécutif. Les Gunners, leader de la Premier League depuis la 11e journée, ne cesse d’impressionner les fans de football de par leur régularité, mais aussi leur jeu. Avec un style de jeu mêlant vitesse, possession, qualité technique et efficacité, le club londonien est pratiquement devenu une référence en Europe. Mais alors comment expliquer ce succès d’un point de vue tactique et statistique ? Nous allons tenter de déceler des éléments de réponse…

NB : Les nombreux chiffres et statistiques évoqués ont été principalement obtenus sur le site WhoScored.com et sur le site officiel de la Premier League.
Du talent, des joueurs à l'entraîneur
Arteta, l'homme idéal ?
Arrivé de Manchester City en décembre 2019 lorsque Arsenal était à la 10e place du classement après 17 journées, Arteta avait du pain sur la planche. Pourtant, la recette de l’Espagnol a mis du temps à se révéler efficace. Lors de la saison de sa venue, le club termine à la 8e place du classement. Néanmoins, les Gunners commencent la saison 2020-2021 sur des chapeaux de roues, en remportant la FA CUP contre Chelsea puis le Community Shield contre Liverpool. Après deux victoires lors des deux premiers matchs de championnat, on s’attend à une belle saison des Gunners. Mais vient alors une terrible période et un début de saison catastrophique (15e après 15 journées), la pire du club en 46 ans. Victime de quelques critiques, notamment sur sa gestion du cas Özil, Arteta est tout de même maintenu par les dirigeants et finira une nouvelle fois à la 8e place.

La saison 2021/2022 semble alors être la continuité d’une période de transition entre l’ancien Arsenal et celui d’Arteta. En effet, l’entraîneur espagnol, ayant déjà écarté plusieurs joueurs majeurs et anciens cadres lors de la saison 2020/2021, continue de façonner sa propre équipe. Ainsi, lors des saisons 2020/2021 et 2021/2022, le club se sépare d’Aubameyang, de Lacazette, de Bellerín ou encore de David Luiz. Parallèlement, Arsenal est actif sur le marché avec un recrutement intelligent et se portant vers la jeunesse. Que ce soit Ødegaard, Ben White, Ramsdale ou encore G. Jesus et Zinchenko plus récemment, le club londonien comptent sur une jeunesse talentueuse pour recouvrer leur succès. À l’issue de la saison 2021/2022, Arsenal se classe à la 5e position et Arteta peut enfin attaquer 2022/2023 avec une équipe qui lui correspond…
Une équipe trouvée
Entre les nouvelles recrues, le retour de prêt de certains (Saliba) et les anciens joueurs relancés (Xhaka), Arsenal et Arteta ont construit petit à petit une équipe équilibrée et talentueuse, sur le plan technique comme sur l’aspect physique. Mais ce qui fait également la force de ce collectif, c’est sa régularité, en partie due à un XI qui ne change que très rarement, avec toujours les mêmes cadres et le même système. Ainsi, Arsenal joue en 4-3-3 (ou en 4-2-3-1) avec un milieu offensif, le norvégien Ødegaard. Si ce dernier peut s’exprimer autant, c’est qu’il est soutenu par deux milieux complets, Xhaka et Partey. Devant, on retrouve la triplette Martinelli, Gabriel Jesus (ou Nketiah qui le remplace), et Saka. Même si elle est moins sollicitée, la défense gunner reste la même, match après match. On y retrouve Ben White, Saliba, Gabriel et Zinchenko. Excepté Zinchenko qui fut blessé à plusieurs reprises, la défense a été titularisée à tous les matchs de Premier League, tout comme Ramsdale, le portier anglais. Arsenal est bien sûr la seule équipe avec autant de joueurs qui ont débuté tous les matchs de Premier League (7). À titre de comparaison, les deux Manchester n’ont que leur gardien respectif qui a disputé l’ensemble des matchs en tant que titulaire. La jeunesse des Gunners (2e plus jeune moyenne d’âge avec 23,42 ans), n’y est sans doute pas pour rien.

Certains pointeront peut-être un manque de profondeur du banc comparé à d’autres équipes (Manchester City), mais pourquoi changerait-on une équipe qui enchaîne les bonnes performances ? Et qui est plus est, en pratiquant un football admirable ?
Une domination tactique
Si vous n’avez jamais regardé de match d’arsenal, je vous conseille de boire de l’eau avant de le faire. Car ça va vite, très vite. Alors oui, la plupart des matchs anglais ont un rythme rapide comparé aux autres championnats, mais ce qui est impressionnant, c’est que les déchets techniques se font rares. En plus d’être espagnol, on sait qu’Arteta a beaucoup appris avec Man City en tant qu’entraîneur adjoint de Pep Guardiola. Et il est difficile de ne pas le relever. Car le jeu adopté, en particulier à la récupération, est similaire.
La récupération de balle, élément clé
L’un des grands points forts de cette équipe est à la récupération du ballon. Lorsque ce dernier est perdu, on a un pressing haut, rapide et qui cherche à provoquer l’erreur chez l’adversaire. D’ailleurs, lors des 10 dernières confrontations en Premier League, huit fois Arsenal a récupéré plus de ballons que leur adversaire dans le camp adverse. On peut en voir un exemple ci-dessous. Leur volonté de presser directement après une perte de balle en attaque est impressionnante.
Prenons l’un des nombreux exemples qui existent. C'était lors du match contre Newcastle qui s'est soldé par un nul 0-0. Sur l’extrait, à aucun moment, l’équipe recule. Elle avance même. Ici, c’est Ben White l’élément clé. Il va suivre le Magpie et l’empêcher de se retourner. Une fois qu’on a provoqué la passe en retrait, le plus dur est fait. Il suffit que tout le monde, en bloc, monte et empêche toute relance. Le défenseur ne peut que rendre le ballon.
On peut également observer, lors du match contre Tottenham, la position des ballons perdus par les Spurs. Ainsi, 11 ballons ont été perdus dans leur propre camp… Même constat avec Brighton qui perd 12 ballons dans leur camp.

Mais la faisabilité de ce pressing réside dans le volume des courses des Gunners. En effet, ils semblent courir tout le temps, et partout. Que ce soit à la récupération du ballon ou même balle au pied, les joueurs sont actifs, bougent, proposent, de la 1re à la dernière minute.
Le siège des Gunners
Si Arteta tient tant à récupérer la balle le plus haut possible, c’est pour installer un véritable siège autour de la surface adverse afin d’asphyxier l’adversaire et la défense. Et ce siège, on le retrouve dans la position occupée par les joueurs durant le match. Les heatmaps peuvent nous aider à mieux nous rendre compte. C’est la position des milieux gunners qui est ici intéressante. Prenons par exemple le match contre West Ham, remporté 3 - 1. On remarque que la zone occupée par les trois milieux gunners est d’une densité rare et entoure la surface adverse. On a des milieux qui bougent, se mêlent et surtout, se projettent. À titre de comparaison, j’ai sélectionné les 5 milieux centraux et offensifs de West Ham. La zone occupée, censée être encore plus dense, est fractionné et en grande partie dans leur camp. On a le schéma parfait d’une ultra-domination du terrain avec des milieux qui asphyxient non pas le milieu adverse, mais toute l’équipe.

Cela reste « que » West Ham, me diriez-vous. Passons à un peu plus d’adversité en s’intéressant au match contre Tottenham, remporté 2 - 0 par les Gunners. Là encore, les heatmaps sont sans appel. On observe une nouvelle fois un milieu de terrain gunner qui est homogène, qui passe la plupart du temps dans le camp adverse, n’hésitant jamais à se projeter et mettre la pression. Les 4 milieux adverses semblent encore une fois plus dispersés et peinent à se rapprocher de la surface gunner.

Ainsi, il y a une véritable volonté de ne pas laisser respirer l’adversaire, et cela se voit également dans le jeu de passes direct d’Arsenal. On préfère mille fois aller chercher un joueur vers l’avant dans un intervalle que de revenir jouer avec les défenseurs ou encore Ramsdale. Pour la statistique, Arsenal se positionne à la 9e position des équipes réalisant le plus de passes vers l’arrière… Mais il faut se concentrer sur le taux de passes vers l’arrière par match. Et si on étudie cette statistique, on voit que les Gunners se placent à la 2e position des équipes réalisant le moins de passes vers l’arrière par match (par rapport au nombre total de passes). En effet, 14,8 % des passes des Londoniens sont faites vers l’arrière, et seul Newcastle fait « mieux » avec 14,5 %. C’est donc bien ce jeu très direct qui différencie le style d’Arteta au style de Pep. Car si l’on continue sur les passes vers l’arrière, Man City est la 2e équipe qui en réalise le plus (16,8 %). Certes, l’écart semble négligeable, mais cela montre la volonté d’Arsenal de ne pas laisser l’équipe adverse se replacer, ce qui leur permet de garder le momentum.
Ainsi, ce siège de la défense adverse entraîne la plupart du temps une monopolisation du ballon. Arsenal est la 4e équipe avec le plus de possession (57,2 %) et la 2e avec le plus de passes réussies (85,2 %). Cette conservation se fait donc la plupart du temps dans le terrain adverse. Étant la 2e équipe à être le plus dans les 30 mètres adverses (35 % du temps), Arsenal confirme sa domination du terrain match après match.
Un arsenal offensif efficace
Lorsqu’une équipe parvient à conserver la plupart du temps le ballon, et qui plus est, dans le terrain adverse, il est alors – logiquement – plus facile pour eux d’être dangereux en attaque. Mais pourtant, cela ne va pas forcément de soi. Prenons une équipe comme l’Espagne à la Coupe du Monde. Possession incontestable, occupation du terrain claire et nette, et pourtant, rares sont leurs occasions et leur menace offensive. Mais alors comment passer d’une équipe dominante statistiquement à une équipe dangereuse offensivement ? Arsenal a l’air d’avoir trouvé la recette.
Une attaque imprévisible
L’un des éléments de réponse se situe sans doute dans les déplacements. On a vu auparavant le placement très haut des milieux terrains entre autres, mais en plus de cette position avancée, il faut s’attarder sur leurs déplacements. Lorsque l’on observe le volume de jeu des Gunners et leurs mouvements, on trouve des joueurs qui proposent énormément. Sans cesse, le porteur de balle a plusieurs solutions, car une multitude d’appels lui sont proposés. On n’hésite pas à décrocher, à se libérer dans l’intervalle, à dédoubler, à proposer le une-deux. Tout cela, en même temps, rend la tâche difficile aux défenses, car plus il y a de solutions pour le porteur de balle, plus il est imprévisible. Et c’est cette imprévisibilité qui permet aux Gunners d’être dangereux de mille manières différentes. Jeu en une touche dans l’axe, combinaisons sur les côtés, frappes de loin (Ødegaard, Partey), centres, 1 vs 1… Cette variété dans le jeu des Gunners est un cauchemar pour leur adversaire. On ne se contente pas de se renvoyer le ballon, mais on n’hésite pas à prendre des risques. Par exemple, on recherche sans cesse la passe déstabilisatrice, même si elle paraît moins évidente, surtout si elle paraît moins évidente. J’ai pris comme exemple le 1er but gunner contre Manchester United.
L’exemple contre Manchester United
Premièrement, on peut remarquer d’office les mouvements continus des joueurs, qui proposent sans cesse. Après un corner joué à deux, Zinchenko va, à deux reprises, chercher l’intervalle, libérer des espaces et faire reculer la défense. Alors que la majorité des joueurs auraient joué sur Martinelli à gauche, Zinchenko surprend une première fois la défense en jouant dans l’intervalle avec Xhaka. Même si ce dernier se fait bloquer et est contraint de revenir sur Zinchenko, ça a permis de faire reculer la défense. L’Ukrainien peut alors provoquer et trouver un deuxième intervalle avec Ødegaard. Ce dernier trouve Xhaka libéré par la percée de Zinchenko. Ensuite, on centre et on marque grâce au nombre important de joueurs dans la surface. Cet intervalle que trouve Zinchenko est presque toujours recherché par les Gunners.
Cette prise de risque incessante se retrouve également dans les dribbles et les tirs. Arsenal est l’équipe qui réussit le plus de dribbles par match (8,1), c’est également la 3e équipe qui tente le plus de tirs par match (16,2) et les 3es avec le plus de tirs cadrés par match (5,6). Tout cela donne alors la 2e équipe ayant marqué le plus de buts (45) derrière Man City.
Équilibre et variété
Autre facteur d’une attaque toujours dangereuse, l’équilibre ! Avec Martinelli à gauche et Saka à droite, il est difficile de pencher d’un côté. Ainsi, les Gunners ont un équilibre offensif rendant leurs attaques moins prévisibles. D’ailleurs, c’est l’équipe qui utilise les deux côtés de manière – quasi – égale avec 35 % du match à gauche, et 36 % à droite. À titre de comparaison, Man City penche, pendant 40 % du match, à gauche et 33 % à droite. United sont quant à eux à gauche pendant 42 % du temps et à droite pendant 31%.
Mais autre preuve de la variété dans leur jeu, c’est leur capacité à être dangereux sur phase placée, mais également en contre-attaque. Avec des ailiers provocateurs, qui se retrouvent de nombreuses fois en 1 v 1, Arsenal n’hésite pas à se projeter très rapidement lors d’une récupération, avec des milieux de terrains qui accompagnent l’attaque pour tenter de créer un surnombre. Ainsi, Arsenal est la 2e équipe avec le plus de but en contre, derrière Man United.
Une défense solide et technique
Au vu de la domination des Gunners dans la plupart des matchs, leur défense est logiquement peu sollicitée. Mais il n’en reste pas moins que la stabilité défensive fait du club l’un des plus solides. Ainsi, Arsenal est la 2e équipe ayant concédé le moins de buts (16), derrière Newcastle, c’est également la 2e équipe, toujours derrière Newcastle, à avoir réalisé le plus de clean sheets (9). Enfin, c’est, encore une fois, la 2e équipe qui concède le moins de tirs par match (8,5). Avec une charnière centrale composée de Saliba et Gabriel, les deux réalisant une grande saison, et des latéraux au gros volume de jeu (Ben White et Zinchenko), la jeune défense paraît bien expérimentée. Mais ce qui est intéressant, c’est leur apport technique et offensif. Car en effet, les 4 défenseurs jouent un rôle essentiel. C’est par leur position que l’équipe va se fixer sur le terrain. Une défense haute fait monter tout le monde, et inversement. Ainsi, les deux centraux n’hésitent pas, lors des phases de domination, à être proches des milieux et des attaquants. Mais le plus impressionnant reste le positionnement des latéraux et de Zinchenko en particulier. Ce dernier occupe pendant presque 90’ une zone bien avancée. On a l’impression que son poste a changé. On peut voir la heatmap de deux de ses matchs, contre Man United (à gauche) et contre Newcastle (à droite).

Aussi, la technique des défenseurs permet également de lancer les contre-attaques rapidement en envoyant des ballons sur Martinelli ou Saka. Même s’ils sont dans l’ombre offensivement (logiquement), ils participent grandement au siège gunner.
De fortes individualités au cœur d’un collectif
Du talent, certes, mais au service d'une équipe
Évidemment, on ne peut pas parler des Gunners de la saison 2022/2023 sans évoquer la confirmation de certains joueurs ou l’éclosion d’autres. Nul ne peut nier l’énorme qualité individuelle présente chez cette équipe. Que ce soit Martinelli, meilleur dribbleur de PL, Saka, deuxième meilleur passeur de la ligue ou encore Ødegaard, passeur de génie à la vision de jeu impressionnante, les Gunners ne manque pas de talent. Mais l’une des principales forces de cette équipe, c’est avant tout son collectif. Les joueurs font preuve d’une attitude exemplaire, et semblent être capables de traverser des moments qui paraissent difficiles. Exemple parfait, la blessure de G. Jesus, qui n’a pas pu jouer les 5 derniers matchs de Premier League et dont la date de retour est encore inconnue. Le brésilien était une figure forte de l’attaque gunner, avec 10 G/A en 14 matchs et un rôle important au pressing. Alors que la nouvelle fut un coup dur pour les supporters, Eddie Nketiah ne leur a finalement pas laissé le temps de s’inquiéter. Habituel remplaçant cette saison, il a marqué 4 buts en 5 matchs depuis son retour dans le XI, dont son doublé importantissime contre Man United. On a donc une vraie équipe, qui semble performer moins grâce à leur individualité qu’à leur collectif. Même exemple avec l’absence à plusieurs reprises de Zinchenko, bien remplacé par Tierney ou Tomiyasu.

Un recrutement réfléchi
Enfin, l’un des éléments importants, le recrutement intelligent. Récemment, les Gunners sont allés chercher Leandro Trossard, prometteur belge, qui a d’ailleurs montré de belles choses lors de ses deux premiers matchs. Alors que Martinelli est un peu en dessous de son niveau depuis la reprise, le Belge représente une excellente option, notamment de par sa polyvalence. Autre exemple encore plus récent, Jorginho. L’un des secteurs qui manquaient de profondeur chez les Gunners était le milieu de terrain. Ils sont alors allés chercher le champion d’Europe italien Jorginho, qui allait être en fin de contrat à l’issue de la saison. Arteta l’apprécie beaucoup, reste à savoir comment il va l’utiliser…
Ainsi, tout a l'air d'aller pour le mieux pour Arsenal, qui est à la recherche de son premier titre en championnat depuis 2004. Une équipe pour l'instant solide, constante, composée de joueurs uniques semblant avoir un mental bien forgé. Des recrues plus qu'intéressantes les ont en plus rejoint pour essayer d'aller au bout. Les Gunners arriveront-ils à conserver leur première place jusqu'à la fin de la saison ? Sachant qu'un champion l'est sur le terrain, mais aussi dans la tête, rien n'est encore fait, même si l'on s'en rapproche match après match.
Comments