Messi et l’Argentine, histoire d’une relation en dents de scie (2/3)
- Raphaël Pazuelo
- 20 janv. 2023
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 juin 2023
La coupe du Monde 2010 de l'Argentine et la sous-performance de Messi est accompagnée du début de nombreuses critiques de la presse nationale envers la Pulga. Malheureusement, ce n'est pas la suite de sa carrière internationale qui fera taire tous ses détracteurs…

V – 2014 & 2015, si près du but…
2014, un mondial presque parfait
La coupe du monde 2014 est l’un des moments les plus importants de la carrière de Messi. Lorsqu’il l’aborde, son succès avec le Barça se pérennise, il a désormais 3 ligues des champions et 4 ballons d’or. Selon Claudio Martinez, il est « incontestablement le meilleur buteur du monde ». Déjà considéré par beaucoup comme le meilleur joueur de l’Histoire, la majorité des Argentins attendent qu’une seule chose pour penser de même : « Même après sa consécration et tout ça, beaucoup d’Argentins n'osaient même pas le considérer comme successeur de Maradona, tout simplement parce qu'il n'avait pas gagné la Coupe du monde. Ce n'était donc pas possible de les comparer. »

2014 semble être le moment rêvé pour conquérir le peuple argentin. Une coupe du monde sur terre ennemie, c’est le scénario parfait. Brillant lors des phases de groupes (4 buts), il se fera un poil plus discret lors de la phase à élimination directe dans laquelle il reste la principale menace offensive de l’Albiceleste. En finale, c’est aux prolongations contre l’Allemagne (encore une fois) que ses rêves de mondial prennent fin. Dans une finale où les occasions argentines n’ont pas manqué (notamment une de Messi), Mario Götze vient anéantir l’Albiceleste.
« On peut dire qu'il y a eu une certaine réconciliation du peuple argentin envers Messi »
Cette coupe du monde marque alors une sorte de première réconciliation entre Messi et le peuple argentin. Bien que déçue, la presse reconnaît le parcours grandiose de leur sélection et de Léo.
Malgré une « très bonne coupe du monde » de la part de Messi (il termine meilleur joueur) dans laquelle l'Albiceleste a « manqué de réalisme en finale » (Claudio Martinez), la Pulga doit effacer néanmoins quelques critiques. Selon Santi, argentin et fan de foot, on lui reprochait « le fait qu’il n’est pas apparu en finale, qu’il n’est pas un leader comme il devrait l’être et comme il l’était en Espagne ». Il ne comprend d’ailleurs toujours pas ces critiques :
« Voir comment ils ont critiqué Leo après tout ce qu'il nous a donné était très moche, une grande impuissance, comment pouvez-vous critiquer le meilleur du monde et surtout une excellente personne ? Personne ne comprenait vraiment pourquoi il était critiqué. »
Mais cette défaite semble être le début d’une malédiction…
2015, encore raté…
Un an après la déception de 2014, l’Argentine se retrouve en finale de la Copa America de 2015, L’occasion pour Léo Messi d’enfin remporter un titre majeur avec sa sélection. Auteur une nouvelle fois d’une campagne remarquable, Messi et l’Argentine affronte le Chili en finale. Une nouvelle fois, ils s’inclineront, et cette fois-ci aux tirs aux buts. Messi dispute une bonne première mi-temps, mais s’efface en seconde période malgré un énorme ballon de but gâché par Higuaín.
« Est-il argentin ou suédois ? »
Quoi qu’il en soit, ça ne passe pas dans la presse. Dès la fin du match, Messi se retrouve au cœur de critiques venant de plusieurs journaux argentins, notamment du célèbre Olé. Ce dernier n’y va pas de main morte :
« Le capitanat a visiblement été mal choisi. Le meilleur joueur du monde n'est pas capable de nous représenter dans les grands moments. Sa prestation a été indigne. On peut parfois rater des matchs, mais on ne peut jamais se permettre de marcher et de glander, alors que les coéquipiers mouillent le maillot. Être le meilleur ne donne pas seulement des droits. Il exige aussi des devoirs. »
« Messi s'est promené sur le terrain. Et attention : cette fois, c'était le Chili, pas la puissante Allemagne. Finies les excuses. Arrêtons. Un peu de respect pour ces gens qui ont regardé le match à la télé et pour ceux qui ont dépensé de l'argent qu'ils n'avaient pas pour le voir jouer. Aujourd'hui, il faut demander pardon et pencher la tête comme le fait si bien Messi »
Outre les journaux, la légende elle-même Diego Maradona en va aussi de sa critique et descend la Pulga :
« C'est logique de le critiquer. Nous avons le meilleur joueur du monde, qui va marquer quatre buts contre la Real Sociedad mais qui n'en touche pas une quand il vient ici. Est-il argentin ou suédois ? Ceux qui disent qu'il faut protéger Messi commencent à me casser les c.... Il faut le traiter comme n'importe quel joueur qui porte le maillot de la sélection, qu'il soit bon ou mauvais. »
Face à toutes ces critiques sportives, un autre reproche lui est notamment fait, celui de ne pas chanter l’hymne argentin, comme beaucoup de ses coéquipiers. Ainsi, il répondra : « Je suis touché, je l’aime beaucoup, tout le monde est touché par l’hymne, mais chacun le vit de manière différente. Je n’ai pas besoin de le chanter pour être touché ». Il en profitera également pour répondre à ceux qui pointent son niveau et son attitude : "On nous dit qu’on ne mouille pas le maillot, qu’on ne met pas nos couilles sur le terrain. Mais ce n’est pas le cas. Putain, on a atteint la finale de la Coupe du monde et de la Copa America. Mais on continue d’entendre des critiques parfois déplacées.”
Cependant, ces reproches ne semblent pas le démotiver : « Désormais, nous avons de nouveaux objectifs, de nouvelles opportunités, il faut continuer à se battre. La Coupe du monde, la Copa America… À un moment, on soulèvera bien quelque chose".
Alors que la défaite en 2014 a semblé rassurer les Argentins et leur montrer qu’ils ne sont pas si loin d’un titre, celle de 2015 plombe les espoirs. Et bien sûr, c’est Messi qui porte le chapeau. Alors peut-être était-ce un simple coup de pression pour l’année d’après, la Copa America 2016…

2016, UN CLAP DE FIN PRÉMATURÉ
Après avoir essuyé toutes ces attaques médiatiques, Léo est de retour un an plus tard pour enfin faire taire tout ce beau monde. Pour l’occasion des 100 ans de la compétition, une Copa America est organisée en 2016 aux Etats-Unis et les Argentins sont bien décidés à rompre avec cette malédiction.
Encore une fois, on a affaire à une Albiceleste expéditive durant toute la compétition, elle terrasse tous ses adversaires : 5-0 vs Panama, 3-0 vs Bolivie, 4-1 vs Venezuela et 4-0 vs USA en demi-finale. Lors de ce dernier match, Messi met notamment un coup franc de légende que vous pouvez retrouver ci-dessous.
Ainsi, pour la troisième fois en 3 ans, Messi emmène ses coéquipiers en finale, pour une revanche de 2015, contre le Chili. Lorsqu’il se qualifie en finale, l’Argentine est, selon Claudio Martinez, « de loin la meilleure équipe de la compétition », sachant qu’elle a déjà battu, lors de la phase de groupe, l’équipe chilienne 2-1. C’était donc leur moment, et leur compétition. Malheureusement, la malédiction semble être bien ancrée dans l’histoire du football moderne argentin. Au cours d’un match d’une intensité rare (1 carton rouge pour chaque équipe à la mi-temps), l’Argentine est ultra dominatrice. Avec 12 tirs argentins contre 2 chiliens, on voyait mal les bleus et blancs perdre cette finale. Et pourtant, après un score nul et vierge, on retrouve, comme en 2015, les deux équipes aux tirs au but. Alors qu'Arturo Vidal rate son premier tir au but, Messi envoie le ballon dans les tribunes et empêche l’Argentine de prendre la mène. Par la suite, l’Argentine s’inclinera, avec un manqué de Lucas Biglia. Le penalty de Messi et les larmes de ce dernier resteront malheureusement à jamais gravés dans les mémoires. Dans la foulée, Messi, à 29 ans, annonce qu’il prend sa retraite internationale de la manière suivante : "La sélection, c'est fini pour moi, c'est la 4e finale que je perds, la 3e de suite". Cette décision que Claudio Martinez considère comme « prise à chaud », choque tout le pays et le monde du football.
Mais alors pourquoi prendre cette décision si jeune, souffre-t-il des critiques et de la comparaison avec Maradona ? Pour Claudio Martinez, ce n’est pas le cas :
« Il a été très touché par trois finales perdues en trois ans, 2014, 2015, 2016. Je pense qu'il a pris la décision de quitter l'équipe nationale, pas tant à cause de la comparaison avec Maradona mais parce qu'il pensait avoir quelque chose de spécial avec l'équipe nationale qui faisait qu’il ne pouvait pas gagner de titre ».
C’est donc cette sorte de malédiction qui l’a poussé à raccrocher les crampons avec l’Albiceleste. Néanmoins, Claudio Martinez ne nie pas le rôle des critiques et de la presse dans cette décision :
« De nombreux journalistes, mais aussi de nombreux fans argentins, ont estimé que Messi n'était pas tout à fait argentin et qu'il n'était pas aussi performant. Cela a donc beaucoup à voir, disons, avec la décision qu'il a prise par la suite. »
« Il pensait avoir quelque chose de spécial avec l'équipe nationale qui faisait qu’il ne pouvait pas gagner de titre »
Une aubaine pour ses détracteurs
Cette défaite en finale, la troisième en trois ans, et l’annonce de sa retraite sont une aubaine pour ses détracteurs. Alors que pour Claudio Martinez, « ce n'était pas la faute de Messi, on ne peut pas le blâmer pour la défaite parce qu'il a manqué le penalty », plus de la moitié des médias argentins ne l’entende pas de la même oreille. Une nouvelle fois, on critique son manque de leadership, le fait qu’au Barça il triomphe (4 Ligues des champions), alors qu’en Argentine, rien. Plus que la presse, ce sont surtout les journalistes argentins en personne qui se déchaînent, notamment un en particulier, un certain Martin Liberman…

Ce dernier, journaliste argentin et fervent aficionado de Cristiano Ronaldo, le comparait sans cesse au Portugais et pointait sa mentalité perdante. Il avait déjà réagi en 2014 après la finale de la Coupe du Monde perdue. À l’époque, il avait défendu Higuaín et accabler Messi qui avait fait selon lui « une demi-finale et finale de m**** ». Évidemment, il fera parler de lui en 2016. Cette fois-ci, il accuse en quelque sorte Messi de diriger la sélection et de décider de tout en Argentine. Il s’adresse même au nouveau sélectionneur de l’époque, Edgardo Bauza, nommé après le licenciement de Tata Martino :
« Bauza, ou tu t’imposes, ou ils vont te virer. Tu dois avoir le courage de virer les amis de Messi ou c’est toi qui te feras virer ».
Par la suite, des tensions vont apparaître entre lui et la sœur de Messi. Le journaliste se permet alors une remarque pleine de sexisme : « Je ne parle pas avec les femmes ».
3 ans plus tard, Messi n’a d’ailleurs pas oublié certaines accusations de Liberman et lui répond sèchement : « Ils disent que mon père dirige l’équipe nationale, que j’ai le pouvoir de faire des choses au sein de la fédération argentine, s’emporte le natif de Rosario. C’est ma famille qui souffre, mes amis, mes frères. Ils souffrent de tous ces mensonges. Certains racontent n’importe quoi, les gens les croient. Et après je suis le fils de p… ».
À l’issue de la finale, Messi se pense donc maudit, il voit un triomphe impossible avec l’Argentine. Dans la tête des Argentins, il est bien difficile de le voir au-dessus de Maradona, au vu de son palmarès quasi-vierge…
Néanmoins, il revient six semaines après l’annonce de sa retraite et se prépare pour la Russie…
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